L’école de la poésie

Préface de « Poètes… vos papiers ! » (1956)

La poésie contemporaine ne chante plus elle rampe
Elle a cependant le privilège de la distinction
Elle ne fréquente pas les mots mal famés elle les ignore
On ne prend les mots qu’avec des gants
à « menstruel » on préfère « périodique »
Et l’on va répétant qu’il est des termes médicaux
qu’on ne doit pas sortir du laboratoire et du codex

Le snobisme scolaire qui consiste en poésie
à n’employer que certains mots déterminés
à la priver de certains autres
qu’ils soient techniques, médicaux
populaires ou argotiques
me fait penser au prestige du rince-doigts
et du baisemain
Ce n’est pas le rince-doigts
qui fait les mains propres
ni le baisemain qui fait la tendresse
Ce n’est pas le mot qui fait la poésie
mais la poésie qui illustre le mot

Les écrivains qui ont recours à leurs doigts
pour savoir s’ils ont leur compte de pieds
ne sont pas des poètes, ce sont des dactylographes
Le poète d’aujourd’hui doit être d’une caste
d’un parti ou du « Tout Paris »
Le poète qui ne se soumet pas est un homme mutilé

La poésie est une clameur
Elle doit être entendue comme la musique
Toute poésie destinée à n’être que lue
et enfermée dans sa typographie n’est pas finie
Elle ne prend son sexe qu’avec la corde vocale
tout comme le violon prend le sien
avec l’archet qui le touche

L’embrigadement est un signe des temps
De notre temps
les hommes qui pensent en rond
ont les idées courbes
Les sociétés littéraires c’est encore la Société
La pensée mise en commun
est une pensée commune

Mozart est mort seul
accompagné à la fosse commune
par un chien et des fantômes
Renoir avait les doigts crochus de rhumatismes
Ravel avait dans la tête une tumeur
qui lui suça d’un coup toute sa musique
Beethoven était sourd.
Il fallut quêter pour enterrer Bêla Bartók
Rutebeuf avait faim
Villon volait pour manger
Tout le monde s’en fout

L’Art n’est pas un bureau d’anthropométrie
La Lumière ne se fait que sur les tombes
Nous vivons une époque épique
et nous n’avons plus rien d’épique

La musique se vend comme le savon à barbe
Pour que le désespoir même se vende
il ne nous reste qu’à en trouver la formule
Tout est prêt : les capitaux, la publicité, la clientèle
Qui donc inventera le désespoir ?

Avec nos avions qui dament le pion au soleil
avec nos magnétophones qui se souviennent
de ces « voix qui se sont tues »
avec nos âmes en rade au milieu des rues
nous sommes au bord du vide
ficelés dans nos paquets de viande
à regarder passer les révolutions

N’oubliez jamais que ce qu’il y a
d’encombrant dans la Morale
c’est que c’est toujours la Morale des Autres

Les plus beaux chants
sont des chants de revendication
Le vers doit faire l’amour
dans la tête des populations
A l’école de la poésie on n’apprend pas
On se bat !

¿

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

4 réflexions au sujet de “L’école de la poésie”

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