Larmes d’opéra – Larmes à l’Opéra – (Puccini 2/3)

Il me faut mettre en musique des passions véritables, des passions humaines, l’amour et la douleur, le sourire et les larmes et que je les sente, qu’elles m’empoignent, qu’elles me secouent.

Passions de mélodrames à faire pleurer les Margot, dirent et disent encore certains esthètes, juchés sur le piédestal de leur suffisance, reprochant à l’art de Puccini de n’être pas assez relevé. Mais passions représentées avec un sens aigu des contrastes qui leur confèrent leur apparence de vérité, et drapées dans la musique suave et inventive d’un compositeur qui leur ouvre grand la voie du cœur. Passions donc qui ne peuvent laisser indifférents que quelques esprits dédaigneux, pendant qu’elles font pleurer — et avec enthousiasme — tous les publics, partout.

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Elvira Gemignani – épouse de Puccini

Passions de femmes, surtout ! Ah ! Les femmes de Puccini ! Celles, nombreuses, de sa vie, bien sûr, mais qui ne sont jamais bien loin de ses héroïnes fragiles, sincères, douloureuses, tragiques ; qui les inspirent souvent.

C’est dans ces personnages féminins, au travers des passions et des drames qui les animent et les rendent inoubliables, que Puccini, homme à femmes, séducteur à l’âme sensible, mais pas Don Juan pour autant, aura transféré — inconsciemment, sans doute, et dès ses premières œuvres — le sentiment de culpabilité qui n’a cessé de le poursuivre. C’est à travers elles également, comme lui vulnérables et peu sûres d’elles, souffrant de solitude et de mélancolie, malades d’amour, qu’il affirmera ce thème explicitement exprimé dans « Il Tabarro » (La Houppelande) : « Chi ha vissuto per amore, per amore si morì. » (Qui a vécu par amour, meurt par amour).

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Est-il image plus incitative à la compassion que celle de la mère de douleur ? Comment alors retenir ses larmes lorsque le portrait figé du tableau prend chair, s’anime, et que sa plainte devient chant cristallin ? Lorsque cette mère tiraillée entre irréversibilité du deuil et sentiment d’injustice prend les traits de Suor Angelica, héroïne au destin tragique de l’opéra éponyme de Puccini, partie centrale du « Trittico »* ?

Une jeune femme de la société aristocratique de la fin du XVIIème siècle a été contrainte de prendre le voile pour avoir donné naissance à un fils hors mariage. Depuis sept ans elle est Sœur Angélique dans un couvent des environs de Sienne. Depuis sept ans toutes ses pensées pointent vers cet enfant qu’elle ne reverra plus.

spring-opera-rgb1Ce soir le couvent est particulièrement animé, un riche carrosse vient d’arriver. La Princesse, tante de Suor Angelica, rend à sa nièce une visite intéressée : elle voudrait lui faire signer l’abandon de sa part d’héritage au profit de sa sœur qui prépare ses noces. Suor Angelica s’insurge d’abord contre tant d’inclémence à son égard, puis demande des nouvelles de son fils qu’elle n’a embrassé qu’une seule fois. La Princesse lui apprend qu’il est mort deux ans plus tôt. Pétrifiée de douleur, la jeune religieuse s’empresse de signer le document. N’ayant plus aucune raison de vivre, elle décide, dans la solitude désespérée des instants qui suivent, de quitter ce monde pour rejoindre son enfant au royaume des Cieux. Elle composera elle-même sa propre cigüe avec les herbes médicinales qu’elle utilise chaque jour pour apaiser les douleurs des patients de l’hospice.

La Princesse repartie et les autres sœurs sorties, Sœur Angelica se retrouve seule. Dans un moment d’infinie tendresse teintée d’un soupçon de culpabilité elle s’adresse à son fils mort sans avoir eu le bonheur de connaître l’irremplaçable amour de sa mère. Ce fils qu’elle a décidé de rejoindre. Pendant ce délire qui précède son suicide elle le voit comme un ange dans le ciel.

« Senza mamma » est assurément, au moment le plus pathétique de ce court opéra sans aucun rôle masculin, l’aria la plus émouvante des trois œuvres du « Trittico »*

Un baryton et pédagogue français faisait jadis justement remarquer que la soprano qui ne ressentirait pas la vibration de cette aria dans ses tripes n’existerait même pas. Il ajoutait que ce que cette mélodie exige de l’interprète ne tient qu’au courage d’être impliquée et au don de libérer sa voix des complications techniques afin qu’elle semble sonner sans qu’un corps concret n’entrave son vol.

Déchirante mère de douleur !

Brava Ermonela Jaho !!!

Sans ta mère
Mon enfant, tu es mort !
Tes lèvres
sans mes baisers
ont blanchi
de froid !
Et tes beaux yeux
se sont fermés.
Ne pouvant pas
caresser mes mains
mises en croix
Tu es mort
sans savoir combien
ta mère t’aimait !
Maintenant que tu es un ange du ciel
tu peux voir ta mère
tu peux descendre du firmament
Et me laisser te sentir.
Es-tu là ? Reçois mes baisers et mes caresses.
Ah ! Dis-moi, quand pourrai-je te voir au ciel ?
Quand pourrai-je t’embrasser ?
O douce fin de ma douleur,
Quand pourrai-je rejoindre le ciel avec toi ?
Quand pourrai-je mourir ?
Dis-le à ta mère, beauté,
d’un léger scintillement d’étoile !
Parle-moi mon amour !

Son acte à peine accompli, prise de remords, elle implorera la Sainte Vierge de ne pas la laisser mourir damnée. Et le miracle de se réaliser : dans un geste d’ineffable bienveillance la Madone conduira vers les bras de Sœur Angelica doublement éplorée les pas du jeune enfant.

¤

*« Il Trittico » (Le Triptyque) est un cycle de trois opéras en un acte, de caractères très différents, écrits par Puccini pour être joués en une seule représentation : « Il Tabarro » (La houppelande), « Suor Angelica » et « Gianni Schicchi ». Ce troisième opéra est une comédie façon Commedia del Arte, prenant sa source, étrangement, dans un passage de l’Enfer de Dante.

A suivre…

Larmes d’opéra – Larmes à l’Opéra – (Puccini 3/3)

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

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