Elle viendra – 19 – Préférence partagée

Emily sait quelque chose que les autres ne savent pas. Elle sait que nous n’aimerons jamais plus d’une poignée de personnes et que cette poignée peut à tout moment être dispersée, comme les aigrettes du pissenlit, par le souffle innocent de la mort. Elle sait aussi que l’écriture est l’ange de la résurrection.

Christian Bobin – La dame blanche (Gallimard / ‘L’un et l’autre’ – 2007)

Kitty Kielland (Norvège 1843–1914) – Un soir à Stokkavannet – 1890.
J’aime mieux me souvenir d’un Couchant
Que jouir d’une Aurore
Bien que l’un soit superbe oubli
Et l’autre réel.
.

Car il y a dans le départ un Drame
Que rester ne peut offrir –
Mourir divinement en une fois le soir –
Est plus aisé que décliner –

Emily Dickinson
Amherst (Massachusetts) 1830-1886

I’d rather recollect a setting
Than own a rising sun
Though one is beautiful forgetting—
And true the other one.

Because in going is a Drama
Staying cannot confer
To die divinely once a Twilight—
Than wane is easier—

in Car l’adieu c’est la nuit – Poésie Gallimard – 2007
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claire Malroux.

Cloches de l’aube

Pourquoi le son des cloches semble-t-il plus alerte au jour levant et plus lourd à la nuit tombante ? J’aime cette heure froide et légère du matin, lorsque l’homme dort encore et que s’éveille la terre. L’air est plein de frissons mystérieux que ne connaissent point les attardés du lit. On aspire, on boit la vie qui renaît, la vie matérielle du monde, la vie qui parcourt les astres et dont le secret est notre immense tourment.

Guy de Maupassant – Sur l’eau

Drew Henderson joue

« Campanas del alba »

de Eduardo Sainz de la Maza (1903-1982)

Qu’il serait doux le son des cloches s’il n’y avait parmi les hommes tant de mal !

Bertolt Brecht – La résistible ascension d’Arturo Ui

Aube

Aube

J’ai embrassé l’aube d’été.

Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.

La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.

Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée, je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. À la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes, et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.

En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps.
L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois.

Au réveil il était midi.

Arthur Rimbaud 1854-1891

 

« Les Illuminations »