Pour un jeune homme de dix huit ans, dans les années 20 – 1820 –, et de la meilleure extraction, « tout amour est épistolaire », n’est-ce pas, chère Barbara ? Même si, comme chacun sait, s’agissant en particulier de Victor Hugo, que peu de femmes laissèrent indifférent, l’amour préfère tout de même le soyeux des draps aux aspérités du papier…
Avançant en âge, Victor Hugo retrouve, alors qu’il les pensait détruites comme il l’avait souhaité, les lettres d’amour qu’il adressait adolescent à celle qui très vite devint son épouse, Adèle Foucher. Les vers émus ne tardent pas à glisser de sa plume, inspirés par le constat poétique du temps qui passe :
Oh primavera ! gioventù dell’ anno !
Oh gioventù, primavera della vita !
Ô mes lettres d’amour, de vertu, de jeunesse,
C’est donc vous ! Je m’enivre encore à votre ivresse ;
Je vous lis à genoux.
Souffrez que pour un jour je reprenne votre âge !
Laissez-moi me cacher, moi, l’heureux et le sage,
Pour pleurer avec vous !
J’avais donc dix-huit ans ! j’étais donc plein de songes !
L’espérance en chantant me berçait de mensonges.
Un astre m’avait lui !
J’étais un dieu pour toi qu’en mon cœur seul je nomme !
J’étais donc cet enfant, hélas ! devant qui l’homme
Rougit presque aujourd’hui !
Ô temps de rêverie, et de force, et de grâce !
Attendre tous les soirs une robe qui passe !
Baiser un gant jeté !
Vouloir tout de la vie, amour, puissance et gloire !
Être pur, être fier, être sublime et croire
À toute pureté !
À présent, j’ai senti, j’ai vu, je sais. – Qu’importe
Si moins d’illusions viennent ouvrir ma porte
Qui gémit en tournant !
Oh ! que cet âge ardent, qui me semblait si sombre,
À côté du bonheur qui m’abrite à son ombre,
Rayonne maintenant !
Que vous ai-je donc fait, ô mes jeunes années !
Pour m’avoir fui si vite, et vous être éloignées
Me croyant satisfait ?
Hélas ! pour revenir m’apparaître si belles,
Quand vous ne pouvez plus me prendre sur vos ailes,
Que vous ai-je donc fait ?
Oh ! quand ce doux passé, quand cet âge sans tache,
Avec sa robe blanche où notre amour s’attache,
Revient dans nos chemins,
On s’y suspend, et puis que de larmes amères
Sur les lambeaux flétris de vos jeunes chimères
Qui vous restent aux mains !
Oublions ! oublions ! Quand la jeunesse est morte,
Laissons-nous emporter par le vent qui l’emporte
À l’horizon obscur.
Rien ne reste de nous ; notre œuvre est un problème.
L’homme, fantôme errant, passe sans laisser même
Son ombre sur le mur !

Extrait de « Les feuilles d’automne » 1831

Quelle merveille…J’y entends plus de tendresse que d’amertume …Le temps passe oui mais l’amour dure…Et ce sentiment d’étrangeté est moins pour celui ou celle que l’on fut que pour les mots employés alors pour le dire…
Je vais encore te faire rougir, mais ta voix embrasse toutes ces nuances à la fois…
Merci à toi Mon cher Lelius pour ce cadeau dominical qui nous prouve une fois encore que Tout amour est épistolaire …( ce qui n’exclut d’ailleurs pas le soyeux des draps…)
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Merci Chère Barbara !
Il y a les deux également, me semble-t-il, dans ce poème. Tendresse envers Adèle qui la lui rendait bien tant par sa grande tolérance à l’égard de ses passades que par le soin tout particulier qu’elle accordait à la gestion de ses « affaires » littéraires. – L’histoire, hélas, n’a pas donné sa juste place à cette femme remarquable.
Amertume, bien sûr, de tout homme qui, l’âge avançant, se retourne sur sa jeunesse… même si, comme en témoigne la vigueur légendaire de notre grand poète, elle a duré au-delà de toute espérance, n’est-ce pas ? Sur le papier et… dans les draps !
Interpréter c’est aussi ouvrir son âme : misanthrope, mais pas exempt de tendresse… Là peut-être réside l’étrangeté !
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