L’ignorant

RembrandtPhilosophe en méditation – 1632 (Louvre)

L’ignorant

Plus je vieillis et plus je croîs en ignorance,
plus j’ai vécu, moins je possède et moins je règne.
Tout ce que j’ai, c’est un espace tour à tour
enneigé ou brillant, mais jamais habité.
Où est le donateur, le guide, le gardien ?
Je me tiens dans ma chambre et d’abord je me tais
(le silence entre en serviteur mettre un peu d’ordre),
et j’attends qu’un à un les mensonges s’écartent :
que reste-t-il ? que reste-t-il à ce mourant
qui l’empêche si bien de mourir ? Quelle force
le fait encor parler entre ses quatre murs ?
Pourrais-je le savoir, moi l’ignare et l’inquiet ?
Mais je l’entends vraiment qui parle, et sa parole
pénètre avec le jour, encore que bien vague :

« Comme le feu, l’amour n’établit sa clarté
que sur la faute et la beauté des bois en cendres… »

Philippe Jaccottet (1925-2021)

 

 

« L’ignorant » – Poèmes 1953-1956 – Gallimard

 

 

Commentaires du poème par Jean-Michel Maulpoix : 
https://www.maulpoix.net/ignorant.htm

Publié par

Lelius

La musique et la poésie : des voies vers les êtres... Un chemin vers soi !

4 réflexions au sujet de “L’ignorant”

  1. Ce poème me touche profondément Lelius, car je rentre dernièrement d’avoir enterré une amie très chère dont la fin de sa vie a été si difficile. Que restait-il qui l’empêchait si bien de mourir? J’ai pensé à la réconciliation avec soi-même et d’abord avec les autres ainsi que me l’a enseigné Guy Corneau (Revivre. Livre qui m’a aidée à parler à ma mère les derniers mois de sa vie). De chez moi, j’ai parlé à mon amie, tél posé à son oreille pour lui dire toutes ces choses qu’elle avait peut-être besoin d’entendre avant de partir. Et lorsqu’elle a cessé sa vie épuisante, je l’ai rejointe pour aider à son grand Départ. Je suis assise chez moi et là non vie arrive. Merci pour ce poème et votre voix

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    1. Si ce billet vous a aidé un instant à traverser votre douleur et les émotions qu’elle engendre inéluctablement, il aura fait œuvre utile. Tant mieux !
      Je ne saurais que trop vous engager à fréquenter la poésie de Philippe Jaccottet. Elle sait être si profonde, et nous interpelle souvent dans nos méditations les plus intimes. Cet immense poète de notre temps disait que toute poésie était une voix donnée à la mort.
      Je pense que la fréquentation permanente de la poésie est de loin notre plus sûr moyen de nous familiariser avec cette grande inconnue qui en nous attendant ne nous quitte pas des yeux.
      Bon courage !

      J’aime

      1. C’est à travers vous que je l’ai connu dans votre blog. (Je parle de Philippe Jacottet). Et j’ai toujours aimé sa poésie. En allant sur son site je réalise qu’il est mort il y aura bientôt 1 an. Je vais chercher des recueils de lui pour mieux entrer dans sa forme d’être. Je suis moi-même poète et la poésie m’a toujours accompagnée depuis mon enfance. La mienne. Celle des autres. Je suis en lien avec Michel Bénard (peintre et poète) à Reims… à bientôt… vous lire. Vous entendre. Vous parler. Chantal

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