Quand l’invitation nous vient de Baudelaire, lui-même, nous savons déjà que le souvenir que nous garderons du voyage sera inoubliable. Et même, – qui cela surprendrait-il ? – à défaut de connaître le bonheur d’une réelle traversée, ne céderions-nous pas au plaisir d’en déguster éternellement la proposition ?
Quand Henri Duparc, doté de l’inestimable grâce de savoir draper chaque poème dans une parure mélodique qui lui sied parfaitement, prend soin d’habiller pudiquement cette « Invitation au voyage » d’un délicat voile de peau diaphane et d’en bercer chaque vers au rythme fluide du clapotis crépusculaire, notre monde, définitivement, se nimbe du luxe, du calme, et de la volupté que nous promet ce chimérique là-bas.
Combien de voix enchanteresses nous auront-elles, d’un souffle caressant, inviter aux délices de ce voyage ? Pour parvenir à nous emporter, peu pourtant auront su instiller avec élégance et délicatesse, sous cet épiderme d’harmonie, la « chaude lumière d’hyacinthe et d’or », sève spirituelle dans laquelle aspirent à se fondre, légères et allusives, les subtiles suavités des vers et de la mélodie.
Ω
— Mon enfant, ma sœur, songe à la douceur de laisser le velours de la voix irremplaçable de Gérard Souzay caresser ton oreille et ton cœur.
Ω
— Mon enfant, ma sœur, viens encore un instant bercer tes langueurs aux célestes ondulations de la voix de Mireille Delunsch !
L’invitation au voyage
Mon enfant, ma sœur,
Songe à la douceur
D’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
Aimer et mourir
Au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
De ces ciels brouillés
Pour mon esprit ont les charmes
Si mystérieux
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Vois sur ces canaux
Dormir ces vaisseaux
Dont l’humeur est vagabonde ;
C’est pour assouvir
Ton moindre désir
Qu’ils viennent du bout du monde.
– Les soleils couchants
Revêtent les champs,
Les canaux, la ville entière,
D’hyacinthe et d’or ;
Le monde s’endort
Dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
Luxe, calme et volupté.
Mon oreille, trop imprimée par l’interprétation de Ferré, a défendu son territoire. Mais, j’ai essayé.
J’aimeAimé par 1 personne
Merci, déjà, d’avoir fait la démarche d’essayer…!
Je ne suis pas sûr que l’univers de Ferré et celui de Duparc soient comparables. Tous les deux sont estimables, et j’avoue me partager moi-même avec un plaisir d’égal intensité, mais de nature différente, dans l’un et dans l’autre, selon l’humeur du moment. Leur trait d’union – et ce n’est pas rien – c’est la miraculeuse magie de la poésie (au sens le plus large) de Baudelaire, n’est-ce pas ?
Baudelaire, me semble-t-il, est l’un des très rares poètes, le seul peut-être, dont le vers trouve aussi bien sa place dans la rue qui grogne que dans le boudoir qui roucoule. Sans doute parce que sa poésie, plus que tout autre, est profondément frappée du sceau de l’humain.
J’aimeAimé par 1 personne
Une découverte pour moi…Merci Lelius.
Je suis profondément d’accord avec ton commentaire ci-dessus. Et je réécouterai les deux selon l’humeur du moment…Un grand merci.
Je t’embrasse.
J’aimeAimé par 1 personne